02 décembre 2009

La Musique de Dominique A.

Dominique A s’élance pour une tournée portant son dernier opus jusqu’en avril 2010. Revenons sur son dernier album La Musique qui lui apportera peut être la consécration tant attendue du grand public.

Dominique A, un engouement mondain
Il aura fallu l’enlisement rhétorique d’une partie croissante de la nouvelle scène française, la disparition prématurée des dernières icônes hexagonales, l’autarcie stylistique des esthètes essoufflés par la course aux majors pour que je prenne le temps de tendre une oreille avertie à l’œuvre déroutante de ce gaillard costaud, intimidant par son envergure et la réputation rarement ébranlée de compositeur rigoureux qui le suit à la trace comme un cabot fidèle.
Crâne sec, imposant comme un bonze moderne, apparition télévisuelle égale au néant, présence radiophonique plus attendue qu’une goutte d’eau égarée dans la mer d’Aral, Dominique A avait de quoi attirer ma curiosité, mais il y a quinze ans, le Twenty-Two Bar m’avait laissé un souvenir effaçable. L’allure figée de ce trentenaire, trop à l’étroit dans son pull marin au charme suranné m’irritait un peu ; à part un morceau ou deux comme Il ne faut pas souhaiter la mort des gens très influencé par le Gainsbourg de la première période dont il a néanmoins gardé certaines intonations ; ou encore En secret imprégné d’urgence et d’acidité présentes dans la tonalité de certains mots.
Je ne saisissais pas sa démarche, et au cours du temps, je me suis pris les pieds dans sa discographie dénuée de fil conducteur, de cohérence éclairante. Ses titres d’album volontairement abstraits me faisaient plus songer, quand je les énumérais, à la rétrospective d’un cadreur oublié de la Nouvelle Vague dont les bobines auraient sciemment goûté à la poussière d’un Henri Langlois de centre aéré ou au palmarès frelaté d’un stagiaire des Éditions de Minuit qui, un peu lassé de se mouvoir dans l’espace feutré d’une diffusion atonale, aurait soudainement décidé de pousser la chansonnette pour compenser, par des cachets ventrus, ses frais de bouche chez Drouant.
Télérama ou les Inrocks pouvaient s’ébaubir devant l’intransigeance inamovible du lettré éthéré, je laissais la secte des dévots accumuler les souscriptions, cet engouement mondain me laissait indifférent.

Bashung voulait du Dominique A
Hors, il y a quelques mois, encore traumatisé par la mort de Bashung, je décidais de fureter dans la remise des projets avortés qui auraient soi disant contribué à l’élaboration de son ultime album Bleu Pétrole. M’égarant dans la jungle alléchante des compositeurs qui allaient pouvoir faciliter l’accouchement laborieux de son dernier opus, entre Armand Méliès et Gaëtan Roussel, Bashung citait Dominique A, avec la fierté d’un tardif découvreur, célébrant discrètement l’habileté d’écriture de cet artiste aussi délicat qu’érudit, rétif à la lumière de la médiatisation crapuleuse et au charme des sirènes de la notoriété facile. Presque trop talentueux, Dominique A lui posait un problème épineux, son univers était déjà trop abouti pour que le disque d’Alain puisse absorber sans dommage cette singulière identité musicale. Ce rendez-vous manqué donnera au maitre des remords, ce dernier s’en voudra jusqu’au bout de n’avoir pu trouver les arrangements capables de valoriser correctement l’orfèvrerie langagière que Dominique A, en discret artisan du verbe avait patiemment peaufiné dans l’atelier de sa mélancolie relative pour satisfaire l’exigence du doyen déclinant. La chanson Immortels occupa une place de choix dans l’estime du chanteur mais ne put s’encastrer parfaitement dans la mosaïque chahutée de Bleu Pétrole, geyser de styles aux retombées imprévues, raffinerie des talents les plus affirmés de la chanson française dite à texte, et passablement ignorée si Bashung n’avait tourné dans leur direction le faisceau aveuglant de sa notoriété patriarcale.

La Musique est un album d’une très grande beauté.
La Musique est un album d’une très grande beauté, dense et nuageux à la fois, la maitrise d’écriture déconcerte et la douceur vocale appelle incontestablement des louanges sans mesure, les ambiances alternent sur un mode d’une fluidité agréable des ballades évanescentes et des morceaux plus enlevés, où le goût d’un ailleurs, d’une patiente reconquête d’un paradis perdu point sans ambiguïté derrière des visions partiellement rimbaldiennes. Immortels est une émouvante composition, elle préjuge de l’érudition littéraire du quadragénaire, le Michaux de Nous deux encore semble ici convoqué, les arrangements porteurs mais jamais écrasant font de cette chanson un testament amoureux aisément récupérable par les âmes éplorées mais promises à la renaissance après la déconvenue des ruptures. Le sens est un astre noir, en position stationnaire dans la galaxie des douleurs extensibles, la voix, proche de la confession religieuse, frôlant la cassure est un bilan sans concession des luttes que nous devons mener pour ne pas sombrer dans la marée des absurdités de la vie quotidienne. Sans maniérisme aucun, le travail sonore, furieusement contemporain, donne à l’électronique un rôle crédible et s’épand dans une incandescence cependant contrôlée.
Hasta (que el cuerpo aguante) - et son refrain claquant comme un étendard - est la première chanson qui m’a poussé à revisiter ma perception du personnage. Ici, rien à jeter, sa rythmique tempétueuse ne supporterait pas la moindre modification, son texte est fort, on en sort comme d’un match de boxe, épuisé mais heureux, avec l’âme recouverte d’hématomes et les fêlures du coeur enfin parée pour un colmatage attendu que rien ne pourra désormais menacer.
Dominique A nous prouve avec brio qu’on peut cibler le débat, réclamer un certain degré d’écoute sans avoir besoin pour cela de faire une coupe franche dans la diversité d’un public dont la témérité et l’envie de sortir des ornières consuméristes ne sont pas les plus visibles qualités. Le succès remporté par ce splendide album est donc à maints égards extrêmement rassurant.

Immortels de Dominique A.


le twenty two bar de Dominique A