David Crosby, Stephen Stills et Graham Nash, devenus des vétérans du folk-rock, se sont produit à l’Olympia de Paris le 4 juillet 2009. Retour sur un concert pas banal et occasion d’estimer le temps écoulé. Suite du résumé de notre explorateur auto-désigné.
Il y aura, chose incroyable de nombreux retards, des gens qui louperont Judy Blue Eyes, prieront ensuite pour ne l’avoir jamais su. Je compatis à leur souffrance mais ne défends par leur manque de ponctualité. Judy, donc, c’est par cette song que les trois gaillards apparus sur scène dans un tonnerre d’applaudissements ont commencé leur concert et acquis leur titre de noblesse sur la scène pop de cette époque bénie ; Judy, hommage au regard cristallin d’une folk singer ; elle eut pour producteur et amant Stephen Stills et chantait déjà quand ce dernier n’appartenait pas encore au Buffalo Springfield. On comprend mieux le zèle mis dans l’écriture de ce classique.
Les tubes de leurs premiers albums sont enchainés sur un rythme trépidant : Long Time Gone, Teach Your Children… On n’a même pas le temps de surveiller sa tension artérielle. David Crosby, le plaisantin réputé du groupe, à la moustache frisotante de malice se marre à chaque fois que l’amorce, à peine soupçonnée d’un morceau, déclenche une salve d’applaudissements convulsifs.
A côté, pour prolonger la magie presque intacte, Graham Nash, en grand forme, pieds nus, cheveux paternellement blanchis et silhouette adroitement préservée remue son corps avec une fluidité qui fait plaisir à voir. Sa bienveillance à l’égard d’un Stills laborieux dans ses solos nous réchauffe le cœur et nous confirme qu’une solidarité exemplaire a survécu à quatre décennies d’avatars en tout genre dont relater ici la genèse serait tout aussi irrévérencieux qu’inutile. (Leur carrière comporte autant de singles que d’embrouilles intestines, collaborations chaotiques, mixages volontairement sabrés, désaccords nombreux sur les évolutions sonores envisagées, rapport haine/amour avec un Neil Young déchiré entre ses obligations contractuelles et sa carrière personnelle, et un David Crosby souvent accusé de trimballer dans sa trousse de toilette des joujoux borderline.)
Le fils de Crosby est au clavier et quand Nash nous présente les membres du groupe, il précise avec une délicieuse ironie qu’il n’a été choisi que pour son talent. Nash, le génie délicat, l’auteur de Carried Away, le tendre énamouré d’une Joni Mitchell (un peu volage) à laquelle il dédiera son Simple Man que je place au même niveau qu’une pièce d’orfèvrerie lennonienne. Nash, qui a le moins cédé aux tentations de certaines substances prohibées, est le plus élégamment épargné des méfaits du temps et soulève l’admiration. Le voir jouer les premières notes d’Our House nous donne envie de squatter définitivement sa maison, doté d’une charpente vocale particulièrement résistante, même après quatre décennies d’insatiables vocalises, Cathédral (1977), une autre perle de leur océan musical dont je ne peux m’empêcher de goûter quotidiennement l’effarante pertinence structurelle (pluralité des rythmes, adéquation millimétrée des ressources vocales) est – tout miracle confondu - un des moments les plus intenses de leur prestation. Les changements de guitare sont ininterrompus, et impressionnent tous les casseurs de cordes camouflés dans la salle.
"Tu imagines que ces mecs là ont fait Woodstock !" me dit un type qui pourrait être mon père. "Voilà, vous savez ce qui vous reste à faire maintenant !" me lance-t-il, histoire d’en rajouter une couche.
Le petit privilège d’être né la dernière année de la décennie la plus créative de l’histoire de la musique populaire m’aide à subir la joke avec moins d’amertume, j’en oublierai presque celle du brasseur déconneur.
Didier Boudet
2 commentaires:
bravo pour ce compte-rendu. on aurai aimé y être!
On a bien conscience d'arriver après la bataille, mais tout ça est très bon...
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