19 mars 2010

Alex Chilton est mort

Alex Chilton, créateur du tube éternel The Letter, puis du groupe mythique Big Star est mort mercredi 17 mars 2010 dans un hôpital de La Nouvelle-Orléans à la suite d'une crise cardiaque.

Né dans la patrie du King, à Memphis, en décembre 1950, Alex Chilton a vécu la désagréable expérience d’une notoriété prématurée. A 16 ans, un tube The Letter (1967), blues à la coloration nerveuse le propulse dans les charts avec son premier groupe aujourd'hui oublié, The Box Tops. L’ado créatif, avec son air revanchard et son timbre légèrement éraillé, voit ses désirs d’émancipation circonscrit par des requins de studio, ailerons dressés sur des plages sonores envahies progressivement par un formatage qui l'insupporte. Ses ambitions aplaties sous la botte d'une maison de disque qui ne lui laisse que la liberté de choisir sa coiffure ou les motifs de ses chemises, l’ado fiévreux est invité à la plus inadmissible des soumissions et doit laisser la sélection de ses musiciens ou les arrangements des chansons à des techniciens sans scrupules.

Frustré par cet indélicat potentat, Chilton le surdoué malmené claque la porte d'un univers de cloportes et décide de s’allier à Chris Bell originaire de la même ville et compositeur vaguement maudit pour créer Big Star, un groupe pas moins onirique qu’anachronique. Allier le raffinement mélodique des Fabs Four (période Revolver) et une certaine vivacité à la Roger Daltrey dans ses morceaux les plus épicés sont leur seul objectif. Un premier album Number 1 Record recueille l’enthousiasme de la profession et l’indifférence traumatisante d’une génération trop fraichement débarrassée des comptines britanniques, trop ciselées pour faire brailler des stades, et que d’autres avant eux, comme les Byrds, ont déjà exploité jusqu'à l'épuisement du concept. On donnera un nom à ce style de musique, pour que l’étoile, (qui ne visitera que trois fois les cieux de la pop seventies, puisse être identifiable, à défaut d’être véritablement explorée, ça sera la Power Pop.

Number 1 Record. 36 minutes de pure extase, ballades imparables et rock bon-enfant, rien n'y fera, l'ingrat public ne relayera pas leur petite entreprise. Les ados en pull losange sont des musiciens de studio, hyper doués, presque trop, avec un sens du Bizness assez limité, et une exigence de perfection qui frôle la névrose. Ici, aucun riff ne semble du aux hasards, les morceaux sont d’une brièveté confondante mais tout y tient, la simplicité apparente des mélodies laisse pressentir en plus d’un travail en amont assez considérable des conséquences malheureuses si leur deuxième fait d’arme devait s’avérer aussi mal réceptionné par le public. Appréhension prévisible, le disque suivant ne se vendra pas davantage, un comble. Chris Bell, las de tous ces faux départs, vit très difficilement ce désaveu d’un public ignorant et abandonne l’expérience à la moitié du deuxième album, en 1974. Il s’en va discrètement versifier dans son coin, le temps d’un écrémage nocturne aux USA et d’enregistrements informels au château d’Hérouville. Les démos, réunis sur un même opus donneront naissance à un album posthume (Bell se tue dans un accident en 1978). I’am the cosmos, sorti en 1992 se hisse au rang de classique, de référence indépassable pour quelques oreilles averties.

Son camarade, Chilton, survivant symbolique du groupe le plus sous-estimé de la pop musique, n’a jamais abandonné la partie. En 77, entre des boulots improbables, bucheron ou plongeur, un single. Bangkok viendra nous rappeler que le titi des seventies avait encore plus d'un tour dans son sac de spleen. La production du premier album des Cramps nous persuadera d'un flair encore en alerte pour dénicher les nouveaux talents. En 2005, la reformation d’un Big Star amputé de son membre légendaire avait ragaillardi les nostalgiques et obligé les indifférents à une redécouverte apaisée. Sa mort rend encore moins pardonnable la négligence d’une œuvre passée à la trappe et affirme sans équivoque l’urgence d’un hommage unanime à leur indéniable contribution, à leur influence sur la scène actuelle (REM, Teenage Fanclub). Ces passeurs d’émotions rares n'ont pas fini de nous faire regretter une décennie tellement productive que tous les génies peinaient à se frayer une place dans un bouillonnement stylistique qui reste incomparable.




04 mars 2010

Bob Dylan chante pour Barak Obama à la Maison Blanche

Dylan ne se déplace jamais sans une raison crédible. Son impact sur les foules est conséquent ; et voir ce sexagénaire à la voix chevrotante mais à la lucidité intact, c'est contempler l'Amérique dans les yeux. Sur un plan politique, Dylan a fait, durant ses quarante cinq ans de carrière, bien plus que tous les gouvernements américains en 150 ans d'exercice de pouvoir, rendant à l'art populaire toute sa dimension subversive, sa richesse émancipatrice.

Dans des textes d'une ironie froide, il relevait déjà les injustices flagrantes dont la communauté noire était la victime dans les années 60, des chansons que j'ai commentées sur ce blog y font référence. Même si sa dernière apparition officielle à la Maison Blanche date de 1997 (invité par Bill Clinton, amateur de longue date du Zimm), il n'est pas inutile de répéter que Bob Dylan était présent lors de la Marche sur Washington le 28 août 1963 avec Joan Baez et Mahalia Jackson où plus de 200.000 pacifistes se rassemblèrent pour dénoncer le traitement scandaleux infligé à la communauté noire. Le compositeur âgé alors d'une vingtaine d'année interpréta Only a Pawn in their Game peu après que le pasteur King eu prononcé son célèbre discours "I have a dream".

Ses apparitions inscrites dans le cadre d'une véritable démarche politique sont aussi rares que marquantes car elles ne promotionnent aucune idéologie en soi mais tiennent à légitimer une ligne de conduite indéfectible dont Dylan ne saurait se départir. La notion pasolinienne de poète organique, non pas dépendant d'une affiliation partisane, mais mue par la dimension d'un verbe démiurgique qui peut, par la puissante déflagration des images, faire basculer la fatalité des pressions historiques, est une expression qui, dans le cas d'un chantre aussi populaire que Dylan, peut vêtir sa démarche sans trop porter préjudice à l'idée qu'il se fait de son art.

Son apparition auprès d'Obama la semaine dernière où son interprétation des "temps changent" n'a pas trop déçu son auditoire, malgré une voix désormais abimée par les effets du temps, et, donc, émouvante à plus d'un titre. Dylan dont l'harassante quête de vérité et l'énergie qu'il a prodigué pour la mise en lumière des causes justes et des situations inacceptables n'est pas étranger à l'indéniable évolution de la mentalité américaine. Sa prose, puissante, souvent onirique mais toujours en prise direct avec la réalité, constamment prophétique, et intelligemment dénonciatrice, est le paravent absolu contre l’obscurantisme idéologique, les enfermements dogmatiques et la parole creuse, souvent inefficace, des leaders politiques.

Même si le symbole Obama est plus tangible que sa marche de manœuvre véritable, il est indubitable que la présence de Dylan aux côtés d'un Président dont l'existence, en elle seule, valide et légitime l'acharnement presque mystique que ce grand créateur a placé dans le défrichage perpétuel des nouveaux territoires de la langue et la neutralisation des préjugés collectifs. Sa présence est un baume fiévreusement attendu sur une blessure historique encore très perceptible, et la promesse d'un avenir radieux où le combat pour une justice plus apparente demeure toujours aussi décisif à mener.

Souhaitons que la nouvelle génération malgré l'intérêt un peu hâtif qu'elle porte aux épigones de Dylan, par paresse, incompréhension, ou stigmatisation volontaire de certaines élites qui ont judicieusement tenté de caricaturer le compositeur le plus doué du XXème siècle pour en faire le pantin de lui-même et donner à son lyrisme incantatoire des allures de monologues hallucinés (alors que son style est la synthèse absolue entre la puissance de l'écriture et l'ancrage temporel dans des problématiques incontournables des sociétés).

Certes, les chansons de Dylan sont longues, lancinantes, faussement uniformes ; sa voix est très particulière et les arrangements plutôt dépouillés, mais on ne peut passer en flâneur sur les avenues d'une œuvre devenue nécessaire au maintien de notre santé morale. Il faut écouter Dylan, apprécier ses chansons, décrypter ses paroles, saluer son audace et estimer à sa juste valeur ce que le citoyen le plus indifférent à son oeuvre lui doit sans même pouvoir le reconnaître.

Une voix, quelques mèches en bataille, un harmonica cabossé et une guitare aux cordes molestées ont donné à nos vies, celles de nos parents, les nôtres et celles à venir une coloration qui nous permettra un jour de regarder le soleil, et donc, la vérité sans avoir à cligner des yeux devant tant d'évidence.





02 décembre 2009

La Musique de Dominique A.

Dominique A s’élance pour une tournée portant son dernier opus jusqu’en avril 2010. Revenons sur son dernier album La Musique qui lui apportera peut être la consécration tant attendue du grand public.

Dominique A, un engouement mondain
Il aura fallu l’enlisement rhétorique d’une partie croissante de la nouvelle scène française, la disparition prématurée des dernières icônes hexagonales, l’autarcie stylistique des esthètes essoufflés par la course aux majors pour que je prenne le temps de tendre une oreille avertie à l’œuvre déroutante de ce gaillard costaud, intimidant par son envergure et la réputation rarement ébranlée de compositeur rigoureux qui le suit à la trace comme un cabot fidèle.
Crâne sec, imposant comme un bonze moderne, apparition télévisuelle égale au néant, présence radiophonique plus attendue qu’une goutte d’eau égarée dans la mer d’Aral, Dominique A avait de quoi attirer ma curiosité, mais il y a quinze ans, le Twenty-Two Bar m’avait laissé un souvenir effaçable. L’allure figée de ce trentenaire, trop à l’étroit dans son pull marin au charme suranné m’irritait un peu ; à part un morceau ou deux comme Il ne faut pas souhaiter la mort des gens très influencé par le Gainsbourg de la première période dont il a néanmoins gardé certaines intonations ; ou encore En secret imprégné d’urgence et d’acidité présentes dans la tonalité de certains mots.
Je ne saisissais pas sa démarche, et au cours du temps, je me suis pris les pieds dans sa discographie dénuée de fil conducteur, de cohérence éclairante. Ses titres d’album volontairement abstraits me faisaient plus songer, quand je les énumérais, à la rétrospective d’un cadreur oublié de la Nouvelle Vague dont les bobines auraient sciemment goûté à la poussière d’un Henri Langlois de centre aéré ou au palmarès frelaté d’un stagiaire des Éditions de Minuit qui, un peu lassé de se mouvoir dans l’espace feutré d’une diffusion atonale, aurait soudainement décidé de pousser la chansonnette pour compenser, par des cachets ventrus, ses frais de bouche chez Drouant.
Télérama ou les Inrocks pouvaient s’ébaubir devant l’intransigeance inamovible du lettré éthéré, je laissais la secte des dévots accumuler les souscriptions, cet engouement mondain me laissait indifférent.

Bashung voulait du Dominique A
Hors, il y a quelques mois, encore traumatisé par la mort de Bashung, je décidais de fureter dans la remise des projets avortés qui auraient soi disant contribué à l’élaboration de son ultime album Bleu Pétrole. M’égarant dans la jungle alléchante des compositeurs qui allaient pouvoir faciliter l’accouchement laborieux de son dernier opus, entre Armand Méliès et Gaëtan Roussel, Bashung citait Dominique A, avec la fierté d’un tardif découvreur, célébrant discrètement l’habileté d’écriture de cet artiste aussi délicat qu’érudit, rétif à la lumière de la médiatisation crapuleuse et au charme des sirènes de la notoriété facile. Presque trop talentueux, Dominique A lui posait un problème épineux, son univers était déjà trop abouti pour que le disque d’Alain puisse absorber sans dommage cette singulière identité musicale. Ce rendez-vous manqué donnera au maitre des remords, ce dernier s’en voudra jusqu’au bout de n’avoir pu trouver les arrangements capables de valoriser correctement l’orfèvrerie langagière que Dominique A, en discret artisan du verbe avait patiemment peaufiné dans l’atelier de sa mélancolie relative pour satisfaire l’exigence du doyen déclinant. La chanson Immortels occupa une place de choix dans l’estime du chanteur mais ne put s’encastrer parfaitement dans la mosaïque chahutée de Bleu Pétrole, geyser de styles aux retombées imprévues, raffinerie des talents les plus affirmés de la chanson française dite à texte, et passablement ignorée si Bashung n’avait tourné dans leur direction le faisceau aveuglant de sa notoriété patriarcale.

La Musique est un album d’une très grande beauté.
La Musique est un album d’une très grande beauté, dense et nuageux à la fois, la maitrise d’écriture déconcerte et la douceur vocale appelle incontestablement des louanges sans mesure, les ambiances alternent sur un mode d’une fluidité agréable des ballades évanescentes et des morceaux plus enlevés, où le goût d’un ailleurs, d’une patiente reconquête d’un paradis perdu point sans ambiguïté derrière des visions partiellement rimbaldiennes. Immortels est une émouvante composition, elle préjuge de l’érudition littéraire du quadragénaire, le Michaux de Nous deux encore semble ici convoqué, les arrangements porteurs mais jamais écrasant font de cette chanson un testament amoureux aisément récupérable par les âmes éplorées mais promises à la renaissance après la déconvenue des ruptures. Le sens est un astre noir, en position stationnaire dans la galaxie des douleurs extensibles, la voix, proche de la confession religieuse, frôlant la cassure est un bilan sans concession des luttes que nous devons mener pour ne pas sombrer dans la marée des absurdités de la vie quotidienne. Sans maniérisme aucun, le travail sonore, furieusement contemporain, donne à l’électronique un rôle crédible et s’épand dans une incandescence cependant contrôlée.
Hasta (que el cuerpo aguante) - et son refrain claquant comme un étendard - est la première chanson qui m’a poussé à revisiter ma perception du personnage. Ici, rien à jeter, sa rythmique tempétueuse ne supporterait pas la moindre modification, son texte est fort, on en sort comme d’un match de boxe, épuisé mais heureux, avec l’âme recouverte d’hématomes et les fêlures du coeur enfin parée pour un colmatage attendu que rien ne pourra désormais menacer.
Dominique A nous prouve avec brio qu’on peut cibler le débat, réclamer un certain degré d’écoute sans avoir besoin pour cela de faire une coupe franche dans la diversité d’un public dont la témérité et l’envie de sortir des ornières consuméristes ne sont pas les plus visibles qualités. Le succès remporté par ce splendide album est donc à maints égards extrêmement rassurant.

Immortels de Dominique A.


le twenty two bar de Dominique A



25 novembre 2009

Repos à l’Elysée pour Alain Bashung

Dimanche à l’Elysée est le dernier opus live d’Alain Bashung, dernier moment de vie et d’éternité.

Invitation intime, complicité dernière, inutile vérification de son aura stellaire, Bashung béni élégamment ce public à la fidélité totale, "Je vous souhaite la force et la tendresse" à demi prononcé de cette voix gutturale qui, jusqu’au bout, restera comme miraculeusement intouchée, et l’on mesure au gré de cette performance mémorable toute l’énergie, l’espérance et la foi qu’Alain, le foudroyé, puisait dans l’attachement indéfectible de son public, en adoration exponentielle.

Lui qui souhaitait entrer dignement dans les ténèbres s’en voulait presque de nous laisser à notre triste sort d’humain, balloté dans une décennie triste où nos rêves, nos chimères s’apprêteraient à quêter vainement, après sa disparition, un nouveau troubadour capable de confectionner aux tourments de leurs âmes de si beaux écrins mélodiques.

Dimanche à l’Elysée, jour chômé pour le commun des mortels mais savamment exploité par cet artisan rigoureux de la scène où Alain semble-t-il se sentait plus chez lui que dans les éprouvettes dans lesquelles sa créativité somnambulique accaparait le cerveau des plus tatillon des arrangeurs sonores.

Tardivement métamorphosé en Léonard Cohen métaphysique, chapeau vissé et costume ténébreux, Alain Bashung avec une détermination sans faille continuait à sillonner la France pour faire baigner dans une trainée de poussière lumineuse des salles de plus en plus remplie ; adorateurs rassurants qui mettaient du baume sur l’angoisse du trépas approchant. Ces fans, mués pour des raisons éparses en consolateurs anonymes mais vitaux, ne boudaient pas leur plaisir et se targuaient d’une responsabilité grandissante, celle de maintenir au pays des vivants par le témoignage de leur admiration nutritive la silhouette amaigrie du génie, le remerciant de 30 années dépensées au service de la grâce. Cette innovation permanente, ces explorations douloureuses dans les atolls des âmes atomisées aboutirent à une œuvre d’un tel raffinement émotionnel qu’elle ne pouvait trouver sa triste issue que dans une destruction méthodique dont son corps révéla tardivement les stigmates.

Disant de trop belles choses, nous faisant ressentir des émotions souveraines, on avait fini par croire Bashung immortel, par le penser divinement hors du monde, ça n’était pas le cas et nous l’apprîmes un triste soir de mars, mois pénible, dieu d’une guerre sournoise où le brillant interprète de La nuit je mens du renoncer à se battre.

Ça n’est un secret pour personne Bleu Pétrole, même s’il révèle peu à peu ses prodiges (comme tout disque de Bashung, il décante voluptueusement dans les marais de nos interprétations empressées) était un album inégale, clôturé dans la hâte et marbré d’hésitations stylistiques. A l’écoute de ces tournées décisives, on nuance cette amère évidence en magnifiant soudainement ce bilan contrasté, en nivelant des maladresses d’écritures par des louanges en rapport intime avec la reconnaissance absolue d’un talent exempt de toute remise en cause. Qu’importe ces ambiances érigées en système, certaines chansons à la plume discutable, le courage manifesté jusqu’au bout par ce chanteur d’exception est plus qu’une leçon de grâce, c’est désormais un point de non retour sur lequel toute une génération de compositeurs-interprètes devra à présent étalonner ses prétentions litigieuses.

Dimanche à l'Élysée : Comme un légo - Je t’ai manqué - Hier à Sousse - Volontaire - Mes prisons - Samuel Hall - Vénus - La nuit, je mens - Je tuerai la pianiste - Légère Éclaircie - Mes bras - À perte de vue - Happe - J’passe pour une caravane - Everybody’s Talkin’ - Osez Joséphine - Fantaisie militaire - Madame rêve - To Bill (Calamity Jane, en duo avec Chloé Mons) - Vertige de l’amour - Malaxe - Angora - Nights in White Satin (Barclay Records - Universal)

David Bowie - Young Americans

Rester au top est d’une certaine manière impossible surtout lorsqu’on a marqué une décennie comme Les Beatles, Elton John, les Stones…. Même McCartney n’a pu résister à la facilité, Lennon, on ne le saura malheureusement jamais, et Harrison a sombré littéralement (ces quelques lignes me font mal)… David Bowie n’échappe pas à la règle, même si une fois tous les trois ou quatre ans, la presse s’extasie sur la sortie d’un nouveau CD lui trouvant des aires de Ziggy ou d’Hunky Dory ; quoi qu’ils en disent, ces CD n’auront jamais l’intensité, la pertinence et le délice de ses albums des seventies…

Cherchant à liquider Ziggy et le Glam qui habita trois albums (Ziggy, Aladine Sane et Diamond Dogs), Bowie se devait de changer de peau. Ses antennes lui avaient indiqué que la musique noire était en marche vers le public blanc. Le disco pointait déjà son nez, mais David avait l’âme plus sophistiquée. Il amorça un virage Soul, revisitant d’abord son répertoire lors de la tournée Diamond Dogs aux US comme en témoigne l’album David Live, enregistré à Philadelphia en juillet 74 (il faut absolument réécouter cet album passé un peu à la trappe, coincé dans une discographie prolixe, où Bowie pose sa voix avec des accents soul naturels sur ses compos rock en mutation Philly sound. Magique !).

Puis, ce fut l’album studio soul Young Americans enregistré entre août 74 et janvier 75. Young Americans dérouta ses fans glam, mais reprogramma intelligemment Bowie vers une nouvelle destinée : le prophète. N’est ce pas Bowie qui inventera le post-punk avant le punk ?

Bowie s’était entouré d’une nouvelle équipe : les guitaristes Earl Slick – qui remplaça Mick Ronson sur la tournée Diamond Dogs – et Carlos Alomar qui deviendra un fidèle pilier de la Bowie Team ainsi que le jeune saxophoniste David Sanborn. Cerise sur le gâteau, Lennon composera et jouera sur un morceau Fame qui deviendra le premier numéro 1 de Bowie dans les Charts US.

Pour l’heure, Bowie passe au Dick Cavett Show (Dick, l’ironique qui a reçu Hendrix, Lennon, Harrison, Joplin etc.) et y interprète le titre éponyme de l’album. La prise est live, le cœur black et Sandborn omniprésent. Bowie est sur le point de conquérir l’Amérique alors que ces frères de glam - Marc Bolan, Roxy Music, Slade et consorts - n’y parviendront jamais. Bowie a le sens de l’histoire.


23 octobre 2009

We Want Miles à La Villette

Exposition sur Miles Davis à la Cité de la Musique de la Villette à Paris en prélude à une rétrospective musicale des grandes arcanes de son œuvre sur les scènes parisiennes.

Donner à voir ce qui s’entend, s’adresser à tous pour raconter le parcours kaléidoscopique d’un artiste, inciter le béotien à creuser le sujet, séduire les spécialistes et rester ludique et beau, telles sont les gageures récurrentes de toute exposition musicale. Que ce soit John Lennon ou Serge Gainsbourg, il faudrait être de mauvaise foi pour dénigrer le travail de La Cité de la Musique, car le propre de ces expositions n’est pas de tout dire – les livres de spécialistes sont écrits pour cela – mais d’entrouvrir brillamment des espaces pour les futurs auditeurs dignes de ce nom.
L’exposition Miles est à ce titre une bonne exposition qu’il faut tenter de voir à des moments de basse fréquentation ; tout d’abord parce que les bornes musicales où chacun peut brancher son propre casque pour écouter les grandes étapes de l’œuvre davisienne sont peu nombreuses (4 prises par borne), que l’espace sombre et profond risque de créer rapidement un climat claustrophobique, enfin parce qu’il s’agit d’une exposition qui se consomme dans l’intime.
Des espaces ovoïdes, là accessibles à toutes les oreilles, présentent des extraits musicaux des grandes œuvres soutenus par une iconographie discrète. Huit trompettes, les vestes des grands couturiers portées dans les années 80, des pochettes de disques, des extraits de films (notamment Un ascenseur pour l'échafaud de Louis Malle, Jack Johnson de Jim Jacobs le docu sur le boxeur et le film sur Festival de l'île de Wight de Murray Lerner) et quelques partitions sont les objets de ce culte incontournable.
On peut regretter le traitement superficiel de quelques thématiques comme la question noire, les rapports douloureux de Miles avec les standards du jazz blanc, sa peur de s’enfermer dans un genre et son besoin de s’entourer de jeunes musiciens… et le trop peu d'interviews de musiciens ayant accompagné le maître ou influencés durablement par celui-ci. Mais, peut être cela n’était-il pas le bon lieu pour l’exposer.
Il me semble qu’il convient de considérer cette exposition comme le support des véritables festivités qui s’annoncent à savoir la série de concerts où d’anciens musiciens de Miles, notamment Wayne Shorter, Jack DeJohnette et Jimmy Cobb, et de brillants interprètes recréeront les albums marquants de la carrière du trompettiste.

We Want Miles
Cité de la Musique - Métro Porte de Pantin
du vendredi 16 octobre 2009 au dimanche 17 janvier 2010

- Mardi, mercredi, jeudi et samedi de 12:00 à 18:00
- Dimanche de 10:00 à 18:00
- Vendredi de 12:00 à 22:00

Tarifs d'entrée :
- Plein tarif : 8 €
- Tarif réduit : 4 €

http://www.citedelamusique.fr/minisites/0910_we_want_miles/main.aspx

30 septembre 2009

Michael Jackson se la joue cow-boy en 77

Avant de devenir le Michael Jackson que nous connaitrons, le déjà grand Michael, en quête d’émancipation, se déguise et s’essaye sur un reggae de Bob Marley à la mode R&B à défaut de trouver un style à lui.

Eté 76, la famille Jackson est engagée pour animer un show musical d’une demi-heure sur CBS. C’est une opportunité à saisir, car l’intérêt du public pour la famille Jackson est en net déclin. L’été 76 a été dominé par le Breezin’ de George Benson, le Frampton Comes Alive! de Peter Frampton et le Wings At The Speed Of Sound de Paul McCartney et aussi Jefferson Starship, Fleetwood Mac et Steve Miller Band, ayant tous virés Rock FM. Les Jackson poursuivent chez Epic, la recette Motown, c'est-à-dire un R&B pop, mainstream et un tantinet ringard, doit-on avouer. Stevie Wonder, autre vedette Motown, s’apprête à livrer en septembre 76 son Songs in the Key of Life ; on mesure le fossé ! Le Show sera prolongé jusqu’en mars 77, puis, faute d’audience conséquente, annulé.

Michael cherche sa voie, son style et son indépendance. Dans cet extrait, il reprend le chanson de Bob Marley, I Shot The Sheriff, connu surtout aux US grâce à la cover qu’en a faite Eric Clapton en 74 (le seul number one au Billboard du guitar hero). On sent chez Michael que tout est déjà en place. Il ne lui manque qu’un peu de modernité ce qu’il acquerra dans les bras du vieux routard Quincy Jones en prenant le train du disco en 79.

Q.U.



17 septembre 2009

Finistériens, terriens finis et Miossec à bout de souffle

Finistériens, le nouvel album de Christophe Miossec réalisé par Yann Tiersen vient d’arriver dans les bacs.

En son temps, Miossec a fait d’une diction faussement laborieuse un style qui ne manquait pas de charme (Crachons veux tu bien, Je ne suis plus saoul) qui fut, il faut bien l’avouer, largement pillé depuis par ses épigones officieux ; mais, son écriture actuelle sous-entend des difficultés d’émancipation moins séduisantes.
Miossec, pour paraphraser une joute présidentielle canonisée par les souverains poncifs de la lucarne tragique, n’a pas le monopole de la mélancolie, Brest n’est pas la Byzance de la débâcle sentimentale et l’alcool même transfiguré par la souffrance du chanteur n’en reste pas moins un paradis artificiel dont l’apologie perpétuelle a fini par saouler. Le binôme Bretagne = Miossec est-il un jumelage indéfectible ?
Cette affirmation identitaire pouvait convaincre dans ses premières années d’exploitation, elle lasse après plus de dix ans de bons et boyaux sévices. Miossec devrait faire une pause pour laver sa bile et retrouver un peu de foi au milieu des épaves du passé et de ses ecchymoses. Ses inquiétudes sont devenues superflues, ses suppliques éculées, il les expose au premier quidam égaré sur sa déroute, guettant le clin d’œil complice ou la tape amicale sur un dos malmené par un coude qui n’en finit pas de glisser sur le lac infini des zincs glacés. Pourtant, nous l’aimons encore, et sa ville, mille fois plus ; qu’il ne soit pas inquiété. On espère simplement qu'un jour, Miossec découvrira dans sa terre d'inspiration, sa Garonne, son Plat Pays qui lui permettront d'échapper au cours ordinaire des choses. Sa contrée native ne fera pas la sourde oreille à ses tendres invectives, alors par pitié. Pourquoi nous répéter mécaniquement la difficulté d’oublier les amours passées et les joies trépassées dans le roulis des compromis existentiels ? Son concept guimbarde a besoin d’une bonne révision, son crachin n’est plus loin du crachat.
Miossec... Un dernier pour la route, et un autre pour la déroute, et cela à longueur d’album où Christophe rempile à cours d’idées. Pendant ce temps-là, le serveur se lasse, le garçon voudrait bien baisser le rideau sur les tristes redites d’un nanard ermite qui ne semble plus croire aux errances qu’il nous conte.
Mio est à sec et nous aussi, toujours les mêmes rêves de comptoirs, toujours les mêmes grèves battues par la pluie, et même celles des ouvriers dont Christophe sait encore correctement évoquer les déboires ne nous tirent plus que des larmes d’apparat.
Quand l’amer se retire de ses plages aux viscosités vaguement nombrilistes, on compte les algues qu’une langue maltraitée par une hâtive écriture a délaissé entre les récifs d’une inspiration arrivée à expiration. Le vers est vidé et l’ivresse a des raisons que le garçon ignore, dont il se fout, dont il se lasse et nous avec lui car les heures sup’ des cafetiers smicards ne sont pas rémunérées à la douleur des clients lessivés (Seul ce que j’ai perdu , A Montparnasse)
Néanmoins, Les Joggers du Dimanche est une agréable réflexion sur la caducité de nos résolutions urbaines malgré son titre aux consonances Delermiennes, Les Hommes de Paille parlant de la précarité du monde professionnel est adroitement composée et si le prophétisme éclairé de cette sombre rengaine mérite quelques louanges discrètes, CDD, lorgnant sur le même sujet, manque de finition et s’enlise stylistiquement dans des accords de guitare cent fois déployés sur les chansons des albums précédents.
Mais bon… Traduire l’aliénation contemporaine n’étant pas la priorité thématique des chansonniers chroniqueurs de notre pays, je lève quand même mon feutre percé à la gloire de cette soudaine poussée d’âcre lucidité et m’en vais écouter le dernier fait d’arme véritablement digne du talent de Christophe Miossec, l’album 1964 où la quarantaine du loup de mer, parfaitement négociée, donnait de la beauté à ses rides approchantes. C’était il y a cinq ans, devrons-nous patienter aussi longtemps pour retrouver, boosté par la menace d’un âge symbolique, l’auteur qui autrefois savait si bien faire chavirer nos âmes ? La barque est au port, attendant sagement la clémence des ondes, espérons qu’elle ne prendra pas l’eau d’ici-là.

Didier Boudet

Finistériens (Pias) - Sortie de l'album le 14 septembre 2009
Seul ce que j'ai perdu - Les Joggers du dimanche - À Montparnasse - Les Chiens de paille - CDD - Nos plus belles années - Jésus au PMU - Haïs-moi - Fermer la maison - Loin de la foule - Une fortune de mer

Christophe Miossec (site officiel)

Concert de Crosby Stills Nash à l’Olympia de Paris - 2

David Crosby, Stephen Stills et Graham Nash, devenus des vétérans du folk-rock, se sont produit à l’Olympia de Paris le 4 juillet 2009. Retour sur un concert pas banal et occasion d’estimer le temps écoulé. Suite du résumé de notre explorateur auto-désigné.

Il y aura, chose incroyable de nombreux retards, des gens qui louperont Judy Blue Eyes, prieront ensuite pour ne l’avoir jamais su. Je compatis à leur souffrance mais ne défends par leur manque de ponctualité. Judy, donc, c’est par cette song que les trois gaillards apparus sur scène dans un tonnerre d’applaudissements ont commencé leur concert et acquis leur titre de noblesse sur la scène pop de cette époque bénie ; Judy, hommage au regard cristallin d’une folk singer ; elle eut pour producteur et amant Stephen Stills et chantait déjà quand ce dernier n’appartenait pas encore au Buffalo Springfield. On comprend mieux le zèle mis dans l’écriture de ce classique.

Les tubes de leurs premiers albums sont enchainés sur un rythme trépidant : Long Time Gone, Teach Your Children… On n’a même pas le temps de surveiller sa tension artérielle. David Crosby, le plaisantin réputé du groupe, à la moustache frisotante de malice se marre à chaque fois que l’amorce, à peine soupçonnée d’un morceau, déclenche une salve d’applaudissements convulsifs.

La position des trois artistes est un régal à étudier, David Crosby et son embonpoint caractéristique, gardera souvent les mains dans les poches, comme un bucheron canadien contemplant le stère de bois qui a flanché sous sa pugnacité ; quiétude bien compréhensible quand on possède une voix capable d’atteindre encore des sommets de lyrisme.

A côté, pour prolonger la magie presque intacte, Graham Nash, en grand forme, pieds nus, cheveux paternellement blanchis et silhouette adroitement préservée remue son corps avec une fluidité qui fait plaisir à voir. Sa bienveillance à l’égard d’un Stills laborieux dans ses solos nous réchauffe le cœur et nous confirme qu’une solidarité exemplaire a survécu à quatre décennies d’avatars en tout genre dont relater ici la genèse serait tout aussi irrévérencieux qu’inutile. (Leur carrière comporte autant de singles que d’embrouilles intestines, collaborations chaotiques, mixages volontairement sabrés, désaccords nombreux sur les évolutions sonores envisagées, rapport haine/amour avec un Neil Young déchiré entre ses obligations contractuelles et sa carrière personnelle, et un David Crosby souvent accusé de trimballer dans sa trousse de toilette des joujoux borderline.)

En plus des joyaux de leur répertoire, les papys freaks rendent un hommage appréciable à la fine fleur des compositeurs de cette époque, Tim Hardin (plume exemplaire d’un oiseau de paradis – où il repose surement - encore trop méconnue) et Bob Dylan avec un Girl From The North Country relooké comme un chant grégorien.

"Il fait chaud today in Paris", cette constatation malicieuse fait jubiler un public qui en oublierait presque qu’il réclame Wooden Ships depuis une demi heure. "A very good audiance tonight" achève de nous rendre décuplé, dans une auge à miracle, les bienfaits de notre ferveur trans-générationnelle.

Le fils de Crosby est au clavier et quand Nash nous présente les membres du groupe, il précise avec une délicieuse ironie qu’il n’a été choisi que pour son talent. Nash, le génie délicat, l’auteur de Carried Away, le tendre énamouré d’une Joni Mitchell (un peu volage) à laquelle il dédiera son Simple Man que je place au même niveau qu’une pièce d’orfèvrerie lennonienne. Nash, qui a le moins cédé aux tentations de certaines substances prohibées, est le plus élégamment épargné des méfaits du temps et soulève l’admiration. Le voir jouer les premières notes d’Our House nous donne envie de squatter définitivement sa maison, doté d’une charpente vocale particulièrement résistante, même après quatre décennies d’insatiables vocalises, Cathédral (1977), une autre perle de leur océan musical dont je ne peux m’empêcher de goûter quotidiennement l’effarante pertinence structurelle (pluralité des rythmes, adéquation millimétrée des ressources vocales) est – tout miracle confondu - un des moments les plus intenses de leur prestation. Les changements de guitare sont ininterrompus, et impressionnent tous les casseurs de cordes camouflés dans la salle.

Les quelques ados présents dans la salle rassurent les plus âgés en reconnaissant For What’s Its Worth un tube de Stills à l’époque où le Buffalo Springfield plantait son fanion sur la crête des Charts US

Il est presque 23 h, deux rappels plus tard, et un Wooden Ships après, tout l’Olympia est debout pour acclamer le come back historique.

"Tu imagines que ces mecs là ont fait Woodstock !" me dit un type qui pourrait être mon père. "Voilà, vous savez ce qui vous reste à faire maintenant !" me lance-t-il, histoire d’en rajouter une couche.

Le petit privilège d’être né la dernière année de la décennie la plus créative de l’histoire de la musique populaire m’aide à subir la joke avec moins d’amertume, j’en oublierai presque celle du brasseur déconneur.

Didier Boudet