25 novembre 2009

Repos à l’Elysée pour Alain Bashung

Dimanche à l’Elysée est le dernier opus live d’Alain Bashung, dernier moment de vie et d’éternité.

Invitation intime, complicité dernière, inutile vérification de son aura stellaire, Bashung béni élégamment ce public à la fidélité totale, "Je vous souhaite la force et la tendresse" à demi prononcé de cette voix gutturale qui, jusqu’au bout, restera comme miraculeusement intouchée, et l’on mesure au gré de cette performance mémorable toute l’énergie, l’espérance et la foi qu’Alain, le foudroyé, puisait dans l’attachement indéfectible de son public, en adoration exponentielle.

Lui qui souhaitait entrer dignement dans les ténèbres s’en voulait presque de nous laisser à notre triste sort d’humain, balloté dans une décennie triste où nos rêves, nos chimères s’apprêteraient à quêter vainement, après sa disparition, un nouveau troubadour capable de confectionner aux tourments de leurs âmes de si beaux écrins mélodiques.

Dimanche à l’Elysée, jour chômé pour le commun des mortels mais savamment exploité par cet artisan rigoureux de la scène où Alain semble-t-il se sentait plus chez lui que dans les éprouvettes dans lesquelles sa créativité somnambulique accaparait le cerveau des plus tatillon des arrangeurs sonores.

Tardivement métamorphosé en Léonard Cohen métaphysique, chapeau vissé et costume ténébreux, Alain Bashung avec une détermination sans faille continuait à sillonner la France pour faire baigner dans une trainée de poussière lumineuse des salles de plus en plus remplie ; adorateurs rassurants qui mettaient du baume sur l’angoisse du trépas approchant. Ces fans, mués pour des raisons éparses en consolateurs anonymes mais vitaux, ne boudaient pas leur plaisir et se targuaient d’une responsabilité grandissante, celle de maintenir au pays des vivants par le témoignage de leur admiration nutritive la silhouette amaigrie du génie, le remerciant de 30 années dépensées au service de la grâce. Cette innovation permanente, ces explorations douloureuses dans les atolls des âmes atomisées aboutirent à une œuvre d’un tel raffinement émotionnel qu’elle ne pouvait trouver sa triste issue que dans une destruction méthodique dont son corps révéla tardivement les stigmates.

Disant de trop belles choses, nous faisant ressentir des émotions souveraines, on avait fini par croire Bashung immortel, par le penser divinement hors du monde, ça n’était pas le cas et nous l’apprîmes un triste soir de mars, mois pénible, dieu d’une guerre sournoise où le brillant interprète de La nuit je mens du renoncer à se battre.

Ça n’est un secret pour personne Bleu Pétrole, même s’il révèle peu à peu ses prodiges (comme tout disque de Bashung, il décante voluptueusement dans les marais de nos interprétations empressées) était un album inégale, clôturé dans la hâte et marbré d’hésitations stylistiques. A l’écoute de ces tournées décisives, on nuance cette amère évidence en magnifiant soudainement ce bilan contrasté, en nivelant des maladresses d’écritures par des louanges en rapport intime avec la reconnaissance absolue d’un talent exempt de toute remise en cause. Qu’importe ces ambiances érigées en système, certaines chansons à la plume discutable, le courage manifesté jusqu’au bout par ce chanteur d’exception est plus qu’une leçon de grâce, c’est désormais un point de non retour sur lequel toute une génération de compositeurs-interprètes devra à présent étalonner ses prétentions litigieuses.

Dimanche à l'Élysée : Comme un légo - Je t’ai manqué - Hier à Sousse - Volontaire - Mes prisons - Samuel Hall - Vénus - La nuit, je mens - Je tuerai la pianiste - Légère Éclaircie - Mes bras - À perte de vue - Happe - J’passe pour une caravane - Everybody’s Talkin’ - Osez Joséphine - Fantaisie militaire - Madame rêve - To Bill (Calamity Jane, en duo avec Chloé Mons) - Vertige de l’amour - Malaxe - Angora - Nights in White Satin (Barclay Records - Universal)

David Bowie - Young Americans

Rester au top est d’une certaine manière impossible surtout lorsqu’on a marqué une décennie comme Les Beatles, Elton John, les Stones…. Même McCartney n’a pu résister à la facilité, Lennon, on ne le saura malheureusement jamais, et Harrison a sombré littéralement (ces quelques lignes me font mal)… David Bowie n’échappe pas à la règle, même si une fois tous les trois ou quatre ans, la presse s’extasie sur la sortie d’un nouveau CD lui trouvant des aires de Ziggy ou d’Hunky Dory ; quoi qu’ils en disent, ces CD n’auront jamais l’intensité, la pertinence et le délice de ses albums des seventies…

Cherchant à liquider Ziggy et le Glam qui habita trois albums (Ziggy, Aladine Sane et Diamond Dogs), Bowie se devait de changer de peau. Ses antennes lui avaient indiqué que la musique noire était en marche vers le public blanc. Le disco pointait déjà son nez, mais David avait l’âme plus sophistiquée. Il amorça un virage Soul, revisitant d’abord son répertoire lors de la tournée Diamond Dogs aux US comme en témoigne l’album David Live, enregistré à Philadelphia en juillet 74 (il faut absolument réécouter cet album passé un peu à la trappe, coincé dans une discographie prolixe, où Bowie pose sa voix avec des accents soul naturels sur ses compos rock en mutation Philly sound. Magique !).

Puis, ce fut l’album studio soul Young Americans enregistré entre août 74 et janvier 75. Young Americans dérouta ses fans glam, mais reprogramma intelligemment Bowie vers une nouvelle destinée : le prophète. N’est ce pas Bowie qui inventera le post-punk avant le punk ?

Bowie s’était entouré d’une nouvelle équipe : les guitaristes Earl Slick – qui remplaça Mick Ronson sur la tournée Diamond Dogs – et Carlos Alomar qui deviendra un fidèle pilier de la Bowie Team ainsi que le jeune saxophoniste David Sanborn. Cerise sur le gâteau, Lennon composera et jouera sur un morceau Fame qui deviendra le premier numéro 1 de Bowie dans les Charts US.

Pour l’heure, Bowie passe au Dick Cavett Show (Dick, l’ironique qui a reçu Hendrix, Lennon, Harrison, Joplin etc.) et y interprète le titre éponyme de l’album. La prise est live, le cœur black et Sandborn omniprésent. Bowie est sur le point de conquérir l’Amérique alors que ces frères de glam - Marc Bolan, Roxy Music, Slade et consorts - n’y parviendront jamais. Bowie a le sens de l’histoire.