19 mars 2010

Alex Chilton est mort

Alex Chilton, créateur du tube éternel The Letter, puis du groupe mythique Big Star est mort mercredi 17 mars 2010 dans un hôpital de La Nouvelle-Orléans à la suite d'une crise cardiaque.

Né dans la patrie du King, à Memphis, en décembre 1950, Alex Chilton a vécu la désagréable expérience d’une notoriété prématurée. A 16 ans, un tube The Letter (1967), blues à la coloration nerveuse le propulse dans les charts avec son premier groupe aujourd'hui oublié, The Box Tops. L’ado créatif, avec son air revanchard et son timbre légèrement éraillé, voit ses désirs d’émancipation circonscrit par des requins de studio, ailerons dressés sur des plages sonores envahies progressivement par un formatage qui l'insupporte. Ses ambitions aplaties sous la botte d'une maison de disque qui ne lui laisse que la liberté de choisir sa coiffure ou les motifs de ses chemises, l’ado fiévreux est invité à la plus inadmissible des soumissions et doit laisser la sélection de ses musiciens ou les arrangements des chansons à des techniciens sans scrupules.

Frustré par cet indélicat potentat, Chilton le surdoué malmené claque la porte d'un univers de cloportes et décide de s’allier à Chris Bell originaire de la même ville et compositeur vaguement maudit pour créer Big Star, un groupe pas moins onirique qu’anachronique. Allier le raffinement mélodique des Fabs Four (période Revolver) et une certaine vivacité à la Roger Daltrey dans ses morceaux les plus épicés sont leur seul objectif. Un premier album Number 1 Record recueille l’enthousiasme de la profession et l’indifférence traumatisante d’une génération trop fraichement débarrassée des comptines britanniques, trop ciselées pour faire brailler des stades, et que d’autres avant eux, comme les Byrds, ont déjà exploité jusqu'à l'épuisement du concept. On donnera un nom à ce style de musique, pour que l’étoile, (qui ne visitera que trois fois les cieux de la pop seventies, puisse être identifiable, à défaut d’être véritablement explorée, ça sera la Power Pop.

Number 1 Record. 36 minutes de pure extase, ballades imparables et rock bon-enfant, rien n'y fera, l'ingrat public ne relayera pas leur petite entreprise. Les ados en pull losange sont des musiciens de studio, hyper doués, presque trop, avec un sens du Bizness assez limité, et une exigence de perfection qui frôle la névrose. Ici, aucun riff ne semble du aux hasards, les morceaux sont d’une brièveté confondante mais tout y tient, la simplicité apparente des mélodies laisse pressentir en plus d’un travail en amont assez considérable des conséquences malheureuses si leur deuxième fait d’arme devait s’avérer aussi mal réceptionné par le public. Appréhension prévisible, le disque suivant ne se vendra pas davantage, un comble. Chris Bell, las de tous ces faux départs, vit très difficilement ce désaveu d’un public ignorant et abandonne l’expérience à la moitié du deuxième album, en 1974. Il s’en va discrètement versifier dans son coin, le temps d’un écrémage nocturne aux USA et d’enregistrements informels au château d’Hérouville. Les démos, réunis sur un même opus donneront naissance à un album posthume (Bell se tue dans un accident en 1978). I’am the cosmos, sorti en 1992 se hisse au rang de classique, de référence indépassable pour quelques oreilles averties.

Son camarade, Chilton, survivant symbolique du groupe le plus sous-estimé de la pop musique, n’a jamais abandonné la partie. En 77, entre des boulots improbables, bucheron ou plongeur, un single. Bangkok viendra nous rappeler que le titi des seventies avait encore plus d'un tour dans son sac de spleen. La production du premier album des Cramps nous persuadera d'un flair encore en alerte pour dénicher les nouveaux talents. En 2005, la reformation d’un Big Star amputé de son membre légendaire avait ragaillardi les nostalgiques et obligé les indifférents à une redécouverte apaisée. Sa mort rend encore moins pardonnable la négligence d’une œuvre passée à la trappe et affirme sans équivoque l’urgence d’un hommage unanime à leur indéniable contribution, à leur influence sur la scène actuelle (REM, Teenage Fanclub). Ces passeurs d’émotions rares n'ont pas fini de nous faire regretter une décennie tellement productive que tous les génies peinaient à se frayer une place dans un bouillonnement stylistique qui reste incomparable.




04 mars 2010

Bob Dylan chante pour Barak Obama à la Maison Blanche

Dylan ne se déplace jamais sans une raison crédible. Son impact sur les foules est conséquent ; et voir ce sexagénaire à la voix chevrotante mais à la lucidité intact, c'est contempler l'Amérique dans les yeux. Sur un plan politique, Dylan a fait, durant ses quarante cinq ans de carrière, bien plus que tous les gouvernements américains en 150 ans d'exercice de pouvoir, rendant à l'art populaire toute sa dimension subversive, sa richesse émancipatrice.

Dans des textes d'une ironie froide, il relevait déjà les injustices flagrantes dont la communauté noire était la victime dans les années 60, des chansons que j'ai commentées sur ce blog y font référence. Même si sa dernière apparition officielle à la Maison Blanche date de 1997 (invité par Bill Clinton, amateur de longue date du Zimm), il n'est pas inutile de répéter que Bob Dylan était présent lors de la Marche sur Washington le 28 août 1963 avec Joan Baez et Mahalia Jackson où plus de 200.000 pacifistes se rassemblèrent pour dénoncer le traitement scandaleux infligé à la communauté noire. Le compositeur âgé alors d'une vingtaine d'année interpréta Only a Pawn in their Game peu après que le pasteur King eu prononcé son célèbre discours "I have a dream".

Ses apparitions inscrites dans le cadre d'une véritable démarche politique sont aussi rares que marquantes car elles ne promotionnent aucune idéologie en soi mais tiennent à légitimer une ligne de conduite indéfectible dont Dylan ne saurait se départir. La notion pasolinienne de poète organique, non pas dépendant d'une affiliation partisane, mais mue par la dimension d'un verbe démiurgique qui peut, par la puissante déflagration des images, faire basculer la fatalité des pressions historiques, est une expression qui, dans le cas d'un chantre aussi populaire que Dylan, peut vêtir sa démarche sans trop porter préjudice à l'idée qu'il se fait de son art.

Son apparition auprès d'Obama la semaine dernière où son interprétation des "temps changent" n'a pas trop déçu son auditoire, malgré une voix désormais abimée par les effets du temps, et, donc, émouvante à plus d'un titre. Dylan dont l'harassante quête de vérité et l'énergie qu'il a prodigué pour la mise en lumière des causes justes et des situations inacceptables n'est pas étranger à l'indéniable évolution de la mentalité américaine. Sa prose, puissante, souvent onirique mais toujours en prise direct avec la réalité, constamment prophétique, et intelligemment dénonciatrice, est le paravent absolu contre l’obscurantisme idéologique, les enfermements dogmatiques et la parole creuse, souvent inefficace, des leaders politiques.

Même si le symbole Obama est plus tangible que sa marche de manœuvre véritable, il est indubitable que la présence de Dylan aux côtés d'un Président dont l'existence, en elle seule, valide et légitime l'acharnement presque mystique que ce grand créateur a placé dans le défrichage perpétuel des nouveaux territoires de la langue et la neutralisation des préjugés collectifs. Sa présence est un baume fiévreusement attendu sur une blessure historique encore très perceptible, et la promesse d'un avenir radieux où le combat pour une justice plus apparente demeure toujours aussi décisif à mener.

Souhaitons que la nouvelle génération malgré l'intérêt un peu hâtif qu'elle porte aux épigones de Dylan, par paresse, incompréhension, ou stigmatisation volontaire de certaines élites qui ont judicieusement tenté de caricaturer le compositeur le plus doué du XXème siècle pour en faire le pantin de lui-même et donner à son lyrisme incantatoire des allures de monologues hallucinés (alors que son style est la synthèse absolue entre la puissance de l'écriture et l'ancrage temporel dans des problématiques incontournables des sociétés).

Certes, les chansons de Dylan sont longues, lancinantes, faussement uniformes ; sa voix est très particulière et les arrangements plutôt dépouillés, mais on ne peut passer en flâneur sur les avenues d'une œuvre devenue nécessaire au maintien de notre santé morale. Il faut écouter Dylan, apprécier ses chansons, décrypter ses paroles, saluer son audace et estimer à sa juste valeur ce que le citoyen le plus indifférent à son oeuvre lui doit sans même pouvoir le reconnaître.

Une voix, quelques mèches en bataille, un harmonica cabossé et une guitare aux cordes molestées ont donné à nos vies, celles de nos parents, les nôtres et celles à venir une coloration qui nous permettra un jour de regarder le soleil, et donc, la vérité sans avoir à cligner des yeux devant tant d'évidence.