20 août 2009

Jackson C Franck, le martyr du folk – Blues runs the game – 1965

Il y a les grands noms du folk : Dylan, Joni Mitchell, CSN, Fairport Convention… mais aussi une cohorte de génies brulés devenus posthumément célèbres (Nick Drake) ou pas. Jackson C Franck appartient à la 2ème catégorie. Nous lui rendons hommage.

Le génie est-il implacablement lié à une vie gorgée de déceptions en tout genres, de flagrantes injustices, de félonies répétées et de court circuits contextuels empêchant un artiste de rencontrer son public ( l’inverse est également possible ) ?
On est tenté d’y croire. La vie d’un des plus talentueux songwriter de la scène folk en est l’exemple le plus parlant, la preuve la plus irréfutable.
C Franck, est un génie, mais un génie qui aurait dégusté les plats les plus ragoutants de la destinée avant d’entrevoir aussi courte qu’irritante le festin tardif d’une renommée qui n’entoure sa légende que depuis qu’il roupille à six pieds sous terre, ignorant la totalité de son indéniable influence, le culte indéfectible qu’on lui voue aujourd’hui.

Né en 1943, à Buffalo (Etat de New York), il passe sa petite enfance dans un coin de l’Ohio avant de déménager pour le lieu de tous les traumas : Cheektogawa. En effet, c’est là, dans une petite école, en plein cours de musique qu’un accident de chaudière provoque un incendie qui fera dix huit victimes et laissera le petit Jackson gravement blessé, profondément traumatisé – cloué pendant sept mois sur un lit d’hôpital. Pendant cette interminable convalescence, un professeur a l’excellente idée d’apporter au gamin plongé dans le désespoir une guitare toute neuve, histoire de tuer le temps et de ne pas sombrer dans la mélancolie, il s’y essaie, se sent tellement à l’aise qu’il se fera offrir une Gretsch électrique par sa mère, qui sachant également que l’enfant voue un culte insatiable à Elvis (déjà cloisonné à Graceland ) parviendra même à lui faire rencontrer son idole, bouleversé par l’expérience qu’a vécu le gamin. Un choc sans précédent et la certitude d’une vocation.

A 16 ans, il décide de devenir chanteur de rock, s’inscrit tout de même en école de journalisme pour assurer ses arrières mais touche cinq ans plus tard une somme redoutablement élevé, dédommagement par l’assurance de l’accident qui a failli lui coûter la vie. Il claque tout en bagnoles de luxes et costards d’un gout douteux. Des caisses, on vendrait les plus belles en Angleterre, il s’y rend, et pendant sa traversée de l’Atlantique griffonne dans un cahier les chansons qui construiront sa légende – (Dialogue, Milk and Honey, Carnival … ) Le fantasme des belles voitures est très rapidement remplacé par la découverte hallucinée de la scène folk londonienne, un vivier de talents exceptionnels parmi lesquels Tim Hardin, Bert Jansh, Fred Neil tiennent les mélomanes en haleine. De club en club, il finit par tomber sur Paul Simon, hébergé par une femme qu’il rencontre dans ses errances nocturnes – c’est le choc. Simon écoute la poignée de compos frétillantes que le roublard a déjà gribouillé ; Simon est estomaqué ! on tient peut être là un nouveau Dylan, sans perdre une minute, il lui promet de produire son premier album « Blue runs the games » lui fait enregistrer ses pépites et découvre au passage la personnalité très singulière du compositeur. Un type d’une timidité maladive et d’une excentricité qui cache une grande douleur. Peu importe, la mixture de Franck, folk mélancolique déployée sur une voix chevrotante (proche de Fred Neil par exemple) séduit rapidement et John Peel le diffuse fréquemment dans son émission légendaire de la BBC – les auditeurs en redemande et le succès pointe son museau dans la futaie des événements.

En 65, nouvelle grande rencontre, il tombe sous le charme d’une infirmière de 19 ans, Sandy Denny, ils sortent ensemble et lorsqu’il l’entend chanter une de ses propres compos, comprend assez rapidement qu’elle devra abandonner son métier pour se tourner intégralement vers une carrière de chanteuse, il n’aura pas tort, Sandy Denny au destin également tragique deviendra une des plus grandes chanteuses de folk mélodique (nous lui consacrerons un article prochainement).

Les concerts s’enchainent, la réputation s’affermit, jusqu’en 68 ou Franck apprend que les ventes de son premier album n’ont jamais vraiment décollé, largué par sa maison de disque, en manque d’inspiration et constatant que la mode du folk introspectif, jusque là prédominante, est en train de se dissoudre, il décide de retourner aux états unis où un nouveau drame lui vole son jeune fils, atteint d’une maladie rare. Sa femme le quitte également, il sombre dans la dépression. La descente aux enfers durera jusqu’aux années 90 où une lueur d’espoir viendra éclairer les trottoirs de sa triste déchéance en la personne de Jim Abott, un fou de musique qui parvient à retrouver l’artiste clochardisé et tente de lui faire arpenter le chemin des studios. Franck y croit mais il est très affaibli par une vie d’errances, d’internements, et de crises psychiques qui auront eu raison de sa résistance. Jambes ankylosées par des marches sans but, avec pour tout butin une valise pourri et une paire de lunettes cassées, sans oublier un œil en moins, perdu à cause d’un dingue qui jouait au Ball Trapp en longeant les bâtisses. Franck trouvera néanmoins grâce à son jeune protecteur (celui-ci parviendra à lui faire toucher des droits d’auteur sur la ré-édition de son premier disque) un répit de courte durée – jusqu’à la triste année 99 ; usé par son mode de vie tristement alternatif – son cœur le lâche le lendemain de son 56ème anniversaire. Reste son premier et seul disque, pour nous faire envisager ce qu’aurait été, si l’infortune ne s’était si cruellement attachée au destin de cet incroyable compositeur, la carrière d’un des talents les plus prometteurs des années 60.

Didier Boudet










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4 commentaires:

audrey a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
-Twist- a dit…

Album formidable. Chanteur formidable. Destin formidable...ment triste. Vinyle formidable...ment dur à trouver. :(

Anonyme a dit…

Euh , on aimerait bien savoir ce qu'Audrey a dit ...

Diego a dit…

Milk and honey chanté par Jacson C. Franck sur la bande annonce de Brown Bunny de Vincent Gallo...