03 août 2009

Le rock est mort en 77 (Part 1)

Crosby, Stills and Nash aux Grammy Awards de 1977


Ce moment est assez curieux. Crosby, Stills and Nash, trois acteurs symboliques de la contre culture de la fin des sixties, présentent le meilleur album de l’année aux Grammy Awards de 1977.

Quelques années auparavant, CSN ont eu la finesse de créer des « protest songs » aux paroles poétiques mais accessibles sur des mélodies sophistiquées et accrocheuses. Ils ont intégré à leur composition quatre genres majeurs : le folk, le rock, la country et la pop. Le tissage habile de leur voix aux tessitures différentes est devenu leur image de marque. Ils ont réussi commercialement là où Dylan a échoué. Nous les voyons ici en Tuxedo faisant les pitres devant le showbiz comme des enfants disciplinés. Que s’est-il passé entre Woodstock (69) et ce moment de 77 ? Leur carrière est en déclin, ils vivent sur leur image et évoquent avec humour celui qui n’a pas renoncé, Neil Young.

Tout aussi intéressants sont les albums nominés :
- Aja de Steely Dan qui vient atteindre la forme musicale après laquelle Fagen et Becker courent depuis 10 ans : un groove sophistiqué de rock aperçu par un monocle jazzy… L‘intelligence ne fait de mal à personne.
- JT de James Taylor qui caressait pour la dernière les charts US avec le tube opportuniste « Your smiling face », dernier coup de reins avant l’obscurité.
- Hotel California des Eagles, le gros carton de l’année, ce qu’aurait pu devenir CSN, de la variété dylanienne qui flatte l’American Way of life.
- Rumors de Fleetwood Mac, l’album emblématique de la musique californienne, énorme carton également, produit par un groupe de blues anglais qui a traversé le Rubicon.
Et la musique du film Star Wars – c’est vrai c’était aussi cette année là !

Pour évoquer rapidement le contexte de cette période, les deux rives de l’atlantique sont ballotées par la déferlante punk depuis deux ans (Clash, Sex Pistols, Damned, Jam… côté anglais ; Television, Richard Hell, les Heartbreakers, Ramones, Talking Heads, Mink Deville… côté US), épiphénomène en terme financier, tremblement de terre idéologique ; Rick Wakeman dira qu’après le punk, il devint impossible de poursuivre ce qui avait été entrepris auparavant. Fin de parcours pour de nombreux groupes : Yes, ELP, Jethro Tull... ou orientation variété populaire : Santana, Chicago… Mais ici, on ne s’en soucie guère. La protection semble épaisse.

Chacun sait qu’il y a un moment où l’art musical cesse d’être un outil de contestation, un pourvoir subversif, un regard décryptant, une lumière pour l’âme. La musique devient alors une marchandise calibrée, réfléchie plus préoccupée de la perception que de la diffusion. On nomme cela la Variété.

Il y eut dans l’histoire du rock ce passage où ceux qui incarnaient la subversion se laissèrent massivement séduire par les chants de la facilité, fabriquèrent la variété rock et anéantirent l’espoir. 77 est le cap définitif, le point de non retour ; c’est aussi le nom du premier album des Talking Heads.

Q.U.



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3 commentaires:

didi a dit…

UN DOCUMENT D ANTHOLOGIE -
Pour un type de ma génération, la qualité des albums sorties cette année là- que le commentaire nous aide à analyser avec discernement - est confondante d'exigence ! On perçoit néanmoins un certain basculement mercantile dans les arrangements de certain morceaux,même si aujourd'hui, le plus négligeable fragment de solo extirpé des songs nomminées dans le doc ferait le bonheur d'un public que l'implacable détérioration de la créativité musicale a plongé dans une résignation fort compréhensible -

Dans le film des grammy,une chose m'émeut tout particulièrement, l'intuitive sensation que, même si les premiers signes de corruption idéologique ( la musique dans sa dimension subversive ) se font sentir, la corporation musicale de cette époque est encore une famille,un terrain d'échanges fertiles et de propositions chaleureuses, la concurrence des producteurs, des maisons de disque est à peine soupçonnable et chaque artiste semble heureux de promouvoir l'honorable qualité de la production musicale de ses collègues, et puis, voir crosby, stills et nash passer du gilet péruvien au smoking de festivalier rigolard, ça mérite le détour -
un grand merci pour la pertinence de l'éclairage apporté sur des faits aux conséquences plus subtiles qu'il n' y parait -

Benoît a dit…

Si je peux me permettre : le fond noir nuit à la lisibilité... Regarde le blog d'un oeil neutre. Certes cela donne une identité, mais franco c'est chaud de lire (quand on a bu un coup à la santé de CSNY !) En tout cas bravissimo pour tes analyses... Et pour les morceaux, as usual !

B.

Anonyme a dit…

fais comme moi, vas vomir!
Punk's not dead!
Ouais bon, ils sont pas mort, mais ils sont très très vieux, ou très bien récupéré.

Fuck