Il y a une vie après la mise en musique de quelques immenses standards de la variété américaine (ceux des Shirrels, des Shiffons, des Drifters, de Bobby Vee…) il y a souvent une carrière, il y a pour sûr un chef-d’œuvre. Carole King (née en 47 à Brooklyn) peut en témoigner ; elle qui fut initialement compositeur et qui est devenue une chanteuse à part entière des années 70 au prix d’efforts qu’il est essentiel de vous narrer.
On a beau voir son talent unanimement reconnu à travers les succès éclatants que ses prestigieux interprètes (Aretha Franklin, The Monkees, The Everly Brothers… ) enchainent à longueur de juke-box ; vient un jour où l’on veut pour soi aussi récolter quelques louanges bien méritées, affermir sa réputation de compositeur inspirée, ne plus laisser les vocalistes interchangeables poser sur leur perruque en nylon les lauriers d’un génie qui n’est pas le leur et qui ferait presque oublier à l’auditeur galvanisé par le flot des succès mensuels qu’une mélodie pour devenir incontournable présuppose en amont un labeur d’une très grande exigence.
Carole est une de ses innombrables et talentueuses plumes de l’ombre, chétif rossignol de studio, picorant sans fin les graines éparses d’une notoriété chimérique, mais sérieusement décidée à prendre son envol. La jeune femme veut prouver au public qu’elle a autant de talent que les groupes pour lesquels elle cisèle patiemment ses chatoyantes compositions, autant, voire plus, mais les circonstances semblent se liguer contre son ardent désir.
Elle a formé avec son premier mari, Gerry Goffin, un des plus fameux duos d’auteurs de tubes de l’écurie Aldon Music tout comme Neil Sedaka & Howard Greenfield, Burt Bacharach & Hal David, Doc Pomus & Mort Shuman... Jusqu’au jour où sa rencontre avec James Taylor transforme sa vie professionnelle. Taylor la pousse à interpréter ses propres chansons. C’est aussi un signe des temps, depuis les Beatles, les interprètes sont aussi des auteurs !
Après l’échec cuisant d’un premier album aux tonalités encore hésitantes (Writer), elle commence à douter de ses capacités quand une identité musicale très spécifique se forme au même moment de ce côté-ci de l’Amérique, changement qu’elle saura discerner. Les harangues idéologiquement nébuleuses et les communions chaotiques des sixties finissantes ont fini par lasser. On se recentre sur le moi, on avoue ses fêlures, on veut du doux, du délicat, des airs mémorisables et des textes qu’on n’aurait pas honte de décortiquer entre un amour perdu et une idylle en devenir.
Carole est faite pour répondre à ces attentes ; la jeunesse des années 70 est, quant à elle, toute désignée pour se retrouver dans la charmante simplicité d’une jeune femme que son jeu spontané rend particulièrement attachante. Comprenant cela, elle se met au travail, s’entoure judicieusement, et voilà que sort TAPESTRY, son second disque. Ses motifs sans prétentions, ses images et ses clichés peut être, son absolu sincérité, sans aucun doute, arrivent à point nommé pour faire souffler un vent de liberté sur les chevelures détachées de ces mômes romantiques. Tout est frais dans ce disque, tout est neuf, tout respire un espoir dont les jeunes ont besoin pour discerner dans la brume une aurore enivrante. La raison en est simple : dans cette œuvre majeure, le collectivisme des années Hippie s’estompe pour une introspection tout en nuance que le style de Carole va incarner magnifiquement. Carole ose enfin écrire le quotidien, ne craint plus d’évoquer l’anecdotique. Avec une gaieté qui fait plaisir à voir, c’est pleinement qu’elle assume enfin la fraicheur de ses enthousiasmes adolescents, la tendre mélancolie de ses déboires sentimentaux. Un peu nasale, sa voix, avec un soupçon d’enfantine hésitation et de charmantes espiègleries seront la recette imparable de ces miniatures sans fioritures, discrètement appuyées dans cette nouvelle naissance par des musiciens à l’intuition redoutable, ceux que James Taylor conscient du potentiel de sa petite protégée lui prêtera généreusement pour affiner son entreprise et lui redonner confiance en elle.
Quand ce dernier la rejoint sur Far Away, (l’une des plus belles chansons de l’album signée Tony Stern) la jeune femme ne cesse de louer le talent du chevelu nonchalant, et le presse de venir la rejoindre pour magnifier les premiers accords dont son piano raisonne. Il lui doit bien ça, le grand James. Après tout, n’est ce pas à Carole qu’il doit l’une des plus belles chansons, le splendide You’ve got a friend. Cette chanson est avec les onze autres joyaux que contient cette caverne de tubes une délicieuse petite sucrerie à chiper dans un sachet dont les multiples ré-écoutes ne sauraient venir à bout, un joli motif soigneusement tissée à d’autres figures pour parfaire la tapisserie de nos faits et affects.
Didier Boudet
1 commentaire:
étonnante cette petite Ingalls!
F.
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