08 septembre 2009

Le Cours Ordinaire Des Choses de Jean Louis Murat

Pour la sortie de son dernier opus Le Cours Ordinaire Des Choses enregistré à Nashville, Jean Louis Murat a interprété les chansons de l’album devant quelques privilégiés au Studio Davout suivi d’une discussion autour d’un verre. Résumé de l’affaire.

Comment survivre aux désastres ambiants, à la marchandise qui anéantit, abîme, détruit le monde, les relations ? L’amour peut-il sauver notre âme ? Pourquoi Dieu reste-t-il sourd à nos plaintes et nos prières ? Dans ce long couloir qu’est l’existence, témoigner pour les vivants et regarder les morts sont une souffrance. Murat en a pris le parti. La poésie est son viatique, son port d’attache, sa raison d’être… Elle l’aide à vivre, à survivre. "Chanter est façon d’être au monde, Chanter est ma façon d’aimer (…), Chanter est ma façon d’errer". Tel Novalis, Murat écrit pour se lover dans le monde de la nuit espérant moins souffrir.
D’emblée, Murat affiche une certaine sympathie pour le diable – "Le cours ordinaire des choses me va comme un incendie" - mais peut être faut-il en passer par là pour conjurer "cette fabrique du faux, ce purin d’idéaux, Où tout fabrique des sots…" Cette terre où "Satan voilé, Est venu, Visiter l’exposition". L’amour sera-t-il notre philtre, notre salut – "Falling in love again "? Mais, n’est ce pas encore un leurre "Amour trop bel, car après tout Quelque affaire nous tient le cœur, On n’aime plus d’amour". Murat prend alors un visage ronsardien "Amours s’en vont, Amours s’en viennent, Filent nos joies, Nos épanchements, Tout est là se tient au soleil, Tout soudain s’enfuit". Les Mignonnes qu’elles soient Mésange bleue, Lady d’Orcival ou Ginette Ramade sont Dieu et la mort. Il y a dans cette extase purement bataillienne une identité, maudite sans doute. L’apaisement doit venir, "Nous avons prié, Redonne-nous l’azur (…) Redonne-nous la sève, Donne-nous la joie". Cette prière est inaudible car "Qui veut entendre ça." Murat y croit, il vit pour cela.

La ritournelle n’est pas facile, chez Murat ; elle est réfléchie, posée, intelligente. Il ne dénonce pas un monde en crise, ne loue pas des luttes sociales à engager ou des libertés à prendre. Il vit l’apocalypse comme les poètes, comme un malaise. On est loin des rimes prêtes à être entendues, celles qu’on sifflote ou qu’on postillonne comme des slogans. On partage une souffrance, la sienne, la nôtre. On exorcise nos démons, notre quotidien. Murat est à rebrousse poil, à contre courant et c’est ce qu’on aime. Cet album, on s’en empreigne, on s’y étend. Il finit par nous obséder. Il nous éclaire. Les paroles se répondent, forment un tout organique. Il y a de la correspondance !

LA MUSIQUE
Allez plus loin. "Les chansons ont été écrites, puis est venu le désir d’enregistrer ailleurs. Cette ailleurs", ce fut Nashville où, avec son jumeau (l’ingé-son, Aymeric Létoquart), Murat s’est installé. Pourquoi Nashville, la ville du Grand Ole Opry, des cowboys Gene Autry et Roy Rogers, du rockabilly, de Willie Nelson et de Dolly Parton ? "Les musiciens ont fuit New York après le 11 septembre et L.A. où le rap règne en maître. Ils sont tous à Nashville qui compte près de 200 studios d’enregistrement."
Après ce constat, vient la question du frenchie au pays de l’industrie musicale, la vraie, l’hégémonique et de son petit soi. Peut-on transmettre un univers si intime à des musiciens professionnels tout terrain ? JL Murat a joué ses compos devant eux et "ils ont compris immédiatement". Pas besoin de paroles, les musiciens se sentent, se ressentent naturellement. "Deux prises ont été suffisantes pour chaque chanson" ; les choses venaient facilement : "ils avaient laissé leur égo à la porte du studio et ils entraient dans ma musique." Et puis les hantés, les univers intimes et précieux, ils connaissent. La plupart d’entre eux jouent derrière Neil Young, Linda Ronstadt, Dire Straits, James Taylor…
Ce moment fut un bonheur pour un garçon qui exècre les poses, les prétentions, les idées préconçues. L’humilité, la générosité des musiciens l’ont touché profondément : "ils n’hésitaient pas à revenir pour peaufiner une ligne de basse, éclaircir une guitare… entre deux autres prises".

Ce qui surprend, c’est que l’univers de Murat n’a pas été altéré, dénaturé. Au contraire, il s’est comme affirmé, précisé. L’auteur a évité tous les pièges d’un enregistrement exotique. Celui qu’on va chercher pour relancer une carrière. Ici, il n’en est rien. La musique fait corps aux textes, ni américaine, ni européenne, juste muratienne.

L’HOMME
Le cliché est souvent l’ami du journaliste, de l’auteur ; sa roue de secours. Murat, l’ours ; l’incontrôlable ; celui qui envoie chier, qui ne joue pas leur jeu. Pourtant ce soir là, il est venu simplement à nous. Timide, d’abord. Car jouer, puis parler devant une dizaine d’inconnus, c’est aussi se mettre à nu. C’est risquer de recevoir une parole, un regard qui vous blessera. Mais, Murat s’est ouvert, sans fard, sans sauvegarde. Il s’est livré sincèrement, il a parlé de son rapport aux chansons, à la musique, de ses amis (Aymeric, Laetitia Masson, Stéphane Prin, Christophe Dupouy…) sans qui "il n’y arriverait pas, il ne tiendrait pas", de sa fatigue du jeu de certains médias, de leur incompréhension des artistes ("tu attends pendant des heures dans un placard à balais à côté des chiottes et on te sort pour subir des questions débiles"). Il était bien là, debout devant nous. Décontracté, sérieux, généreux. Humain.

Le cours ordinaire des choses risque l’invisibilité dans cette rentrée musicale touffue, ce qui serait plus que dommage. Il passera sans doute sur quelques radios, les sérieuses. Apparaitra sur les télés, les intelligentes. On l’espère. S’imprimera dans la presse ; apparemment, les journalistes se sont précipités. Quoi qu’il en soit, cet album est à ne pas manquer. Il faut le gouter, le déguster. Son ensorcellement est bénéfique, il fait grandir comme un long poème malade et joyeux en même temps.

Q.U.

Le Cours Ordinaire Des Choses (V2/Universal) - Sortie de l’album le 21 septembre 2009.
Comme un incendie - Falling in love again - M. maudit - Chanter est ma façon d’errer - Lady of Orcival - 16h00 qu’est-ce que tu fais ? - La mésange bleue - Ginette Ramade - Comme un cowboy à l’âme fresh - La tige d’or - Taïga.

Enregistré au Studio Ocean Way à Nashville

Lire aussi :
Dubuc's blog : Un soir, Jean-Louis Murat...
Le Lien Défait : Studio Davout, jeudi 3 septembre
JLMurat.com (site officiel)

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6 commentaires:

Unknown a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Unknown a dit…

Waow! si ce papier ne donne pas envie de s'y jeter corps & âme, je ne comprends plus rien...mille bravos, tout simplement

Jladisco a dit…

Tu as bien de la chance d'avoir approché l'Auvergnat. Vivement l'album qui s'annonce plutôt bien je crois...

ICI TAILLAC a dit…

Attentif au genial j.louis j'apprecie beaucoup tes mots en reponse aux tiens je te propose quelques phrases sur le tout premier vrai 33t de Murat "passions privées" comme par ripostes tardive au bien nommé "le cours ordinaires des choses" (IN A STYLE OF LESTER BANGS)

Jerry OX a dit…

Voilà un chanteur que j'aime beaucoup !! j'adore tout particulièrement "le moujik et sa femme" et le double "Lilith" . le style, la voix , les mots et ce sens inné de la mélodie et de la maitrise musicale à l'Anglo-Saxonne le place pour moi largement au dessus du néant actuel ! merci pour ce billet !

et pour la citation Stonienne du blog !

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