Né dans la patrie du King, à Memphis, en décembre 1950, Alex Chilton a vécu la désagréable expérience d’une notoriété prématurée. A 16 ans, un tube The Letter (1967), blues à la coloration nerveuse le propulse dans les charts avec son premier groupe aujourd'hui oublié, The Box Tops. L’ado créatif, avec son air revanchard et son timbre légèrement éraillé, voit ses désirs d’émancipation circonscrit par des requins de studio, ailerons dressés sur des plages sonores envahies progressivement par un formatage qui l'insupporte. Ses ambitions aplaties sous la botte d'une maison de disque qui ne lui laisse que la liberté de choisir sa coiffure ou les motifs de ses chemises, l’ado fiévreux est invité à la plus inadmissible des soumissions et doit laisser la sélection de ses musiciens ou les arrangements des chansons à des techniciens sans scrupules.
Frustré par cet indélicat potentat, Chilton le surdoué malmené claque la porte d'un univers de cloportes et décide de s’allier à Chris Bell originaire de la même ville et compositeur vaguement maudit pour créer Big Star, un groupe pas moins onirique qu’anachronique. Allier le raffinement mélodique des Fabs Four (période Revolver) et une certaine vivacité à la Roger Daltrey dans ses morceaux les plus épicés sont leur seul objectif. Un premier album Number 1 Record recueille l’enthousiasme de la profession et l’indifférence traumatisante d’une génération trop fraichement débarrassée des comptines britanniques, trop ciselées pour faire brailler des stades, et que d’autres avant eux, comme les Byrds, ont déjà exploité jusqu'à l'épuisement du concept. On donnera un nom à ce style de musique, pour que l’étoile, (qui ne visitera que trois fois les cieux de la pop seventies, puisse être identifiable, à défaut d’être véritablement explorée, ça sera la Power Pop.
Number 1 Record. 36 minutes de pure extase, ballades imparables et rock bon-enfant, rien n'y fera, l'ingrat public ne relayera pas leur petite entreprise. Les ados en pull losange sont des musiciens de studio, hyper doués, presque trop, avec un sens du Bizness assez limité, et une exigence de perfection qui frôle la névrose. Ici, aucun riff ne semble du aux hasards, les morceaux sont d’une brièveté confondante mais tout y tient, la simplicité apparente des mélodies laisse pressentir en plus d’un travail en amont assez considérable des conséquences malheureuses si leur deuxième fait d’arme devait s’avérer aussi mal réceptionné par le public. Appréhension prévisible, le disque suivant ne se vendra pas davantage, un comble. Chris Bell, las de tous ces faux départs, vit très difficilement ce désaveu d’un public ignorant et abandonne l’expérience à la moitié du deuxième album, en 1974. Il s’en va discrètement versifier dans son coin, le temps d’un écrémage nocturne aux USA et d’enregistrements informels au château d’Hérouville. Les démos, réunis sur un même opus donneront naissance à un album posthume (Bell se tue dans un accident en 1978). I’am the cosmos, sorti en 1992 se hisse au rang de classique, de référence indépassable pour quelques oreilles averties.
Son camarade, Chilton, survivant symbolique du groupe le plus sous-estimé de la pop musique, n’a jamais abandonné la partie. En 77, entre des boulots improbables, bucheron ou plongeur, un single. Bangkok viendra nous rappeler que le titi des seventies avait encore plus d'un tour dans son sac de spleen. La production du premier album des Cramps nous persuadera d'un flair encore en alerte pour dénicher les nouveaux talents. En 2005, la reformation d’un Big Star amputé de son membre légendaire avait ragaillardi les nostalgiques et obligé les indifférents à une redécouverte apaisée. Sa mort rend encore moins pardonnable la négligence d’une œuvre passée à la trappe et affirme sans équivoque l’urgence d’un hommage unanime à leur indéniable contribution, à leur influence sur la scène actuelle (REM, Teenage Fanclub). Ces passeurs d’émotions rares n'ont pas fini de nous faire regretter une décennie tellement productive que tous les génies peinaient à se frayer une place dans un bouillonnement stylistique qui reste incomparable.